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Régulation des influenceurs crypto : fuite en avant ou en arrière ?

Régulation des influenceurs crypto : fuite en avant ou en arrière ?

#12 Booba. Influenceurs téléréalité. Influenceurs trading. Influenceurs crypto. Quelle régulation adopter ?


Réguler, réguler, réguler. Ce mot est répété à longueur de journée. Dans tous les domaines, la France est l'un des champions mondiaux de la régulation.

Ces derniers mois, deux sujets de régulation reviennent régulièrement sur le tapis : les cryptomonnaies et les influenceurs. Le premier est d'actualité suite aux faillites des géants des cryptomonnaies "FTX" et "Terra Luna". Le second est lié à la "guerre" que le rappeur Booba mène contre les "influvoleurs".

Booba, rappeur devenu lanceur d'alerte

Si il y a bien un domaine dans lequel on ne l'attendait pas, c'est bien dans celui des régulations.

Le rappeur Booba

Booba (Elie Yaffa de son vrai nom, 47 ans) est l'un des rappeurs les plus connus de l'histoire du rap français, et probablement le plus marquant de sa génération, voire de tous les temps. Il a mis fin officiellement l'année dernière à 30 ans de carrière en remplissant le Stade de France lors d'un concert, devenant ainsi le premier rappeur français à réaliser cette performance sans aucune promotion.

Depuis plus d'un an, en plus de la musique et des "clashs" à répétition, le rappeur s'est illustré auprès du grand public dans une "guerre" contre le monde de l'influence.

Tout a commencé fin 2021, lorsque Marc Blata, un influenceur de téléréalité, a pris Booba pour cible au sujet d'une présumée fausse montre lors d'une séance de shooting.

Sous-estimant la réputation et les réactions du rappeur, ce dernier a déclenché une bataille qui est allée jusqu'au sommet de l'État. Des influenceurs de Dubaï à Bruno Le Maire, en passant par le groupe Meta et l'Assemblée nationale, le monde de l'influence français a été exposé au grand jour.

Marc Blata et sa femme Nadé possèdent un canal Telegram dans lequel ils pratiquent ce qu'on appelle du "copytrading". Les abonnés paient pour recevoir des messages leur indiquant d'investir sur telles actions ou cryptomonnaies à tel moment, avec la promesse de "forts gains".

Les influenceurs Marc et Nadé Blata, à Dubaï

Ces groupes permettent d'arnaquer les clients en faisant la promotion de produits non régulés, ou parfois en permettant de mettre en place des "pump and dump". Cela consiste à acheter des actions ou une cryptomonnaie en avance, puis à faire la promotion à un groupe spécifique, qui, en achetant, gonflera le prix de l'actif et permettra à l'initiateur de revendre ce qu'il avait acheté en amont.

Ces influenceurs font également la promotion de tout type de projets de cryptomonnaies et de NFT moyennant rémunération.

De fil en aiguille, Booba est remonté jusqu'à Magali Berdah, surnommée la "Papesse" des influenceurs. Cette dernière est à la tête de Shauna Events, une entreprise créée en 2016, qui fait l'intermédiaire entre des marques et des égéries de téléréalité, moyennant un pourcentage sur leurs contrats.

L'animateur de C8 Cyril Hanouna, de par sa participation dans le groupe audiovisuel "Banijay", faisait partie des actionnaires de Shauna Events. Le groupe Banijay produit une partie des émissions de télé-réalité.

Le rappeur Booba a donc décidé de prendre pour cible tous les produits d'investissement frauduleux. Des groupes pour dénoncer ces produits ont été créés et des collectifs ont été mis en place.

Le Dropshipping

Les influenceurs sont visés majoritairement pour avoir promu des produits de "dropshipping".

Cette pratique de vente, importée des États-Unis, consiste à vendre des produits sans en posséder de stock. L'idée est de choisir quelques produits, de créer une page de vente et, avec une forte campagne marketing, d'en vendre le plus possible. Jusque-là, rien d'illégal.

Cette pratique existe en France depuis bientôt 10 ans et a explosé en même temps que s'est développé l'e-commerce. Yomi Denzel, l'entrepreneur de dropshipping le plus connu en France, a fait une partie de sa fortune grâce à cette activité en 2017, avant de se tourner vers la vente de formations. Ces derniers mois, vous avez peut-être vu des vidéos de lui sur vos réseaux sociaux, via son podcast "Sans Permission", en compagnie d'Oussama Ammar, l'un des fondateurs de The Family.

Yomi Denzel, le "roi du Dropshipping"

Le dropshipping, bien que légal, peut entraîner certaines dérives et soulever des questions d'éthique. Alors que certains entrepreneurs, tels que Yomi Denzel, encouragent à la vente de produits de qualité, d'autres, peu scrupuleux, optent pour des produits de mauvaise qualité.

Ces produits sont principalement importés de Chine, souvent directement commandés sur Aliexpress, et sont vendus à un public français influencé par les réseaux sociaux à des prix considérablement plus élevés. Les produits peuvent être facilement vendus cinq à dix fois leur prix d'achat. Les influenceurs qui font leur promotion touchent une commission chaque fois que leur code promo est utilisé.

Le consommateur, qui pense souvent acheter un objet de qualité, se retrouve avec un produit bas de gamme. C'est le problème qu'a souligné le rappeur Booba à l'égard des influenceurs de la télé-réalité. Des milliers de plaintes ont été déposées par des clients qui n'ont jamais reçu de produits, qui ont reçu un produit mensonger ou qui ont été exposés à des produits dangereux pour leur santé.

Bruno Le Maire, le Ministre de l'Économie et des Finances, a qualifié ces dérives d'« inacceptables » et souhaite y mettre rapidement fin.

Une proposition de loi pour réguler les influenceurs

Le 31 janvier 2023, les députés Arthur Delaporte (PS) et Stephane Vojetta (Renaissance) ont présenté la proposition de loi N°790 (PPL) visant à réguler le statut des influenceurs.

A gauche : Arthur Delaporte (PS) à Paris le 20 Juin. A droite : Stéphane Vojetta (Renaissance) à Madrid le 10 Mai. (AFP)

Outre les influenceurs classiques, cette proposition de loi vise également la régulation des cryptoactifs et des produits financiers. Dans cette newsletter, je me concentrerai uniquement sur la régulation des influenceurs liés aux cryptomonnaies.

Cette proposition de loi suggère, par modification du code de la consommation, l'interdiction aux influenceurs de faire la promotion d'actifs numériques entraînant un risque de perte à titre onéreux ou en échange d'un avantage en nature (Article 1, alinéa 7). Tout manquement à cet article exposera l'influenceur à une peine de cinq ans d'emprisonnement et 375 000 euros d'amende.

Qu'est-ce qu'un "influenceur" ?

La définition d'un "influenceur" est extrêmement large, surtout à l'ère de la toute-puissance des réseaux sociaux. Un influenceur n'est pas simplement une "Nabilla" basée à Dubaï, mais peut être n'importe quel individu ayant une audience et donc de l'influence, qu'il soit rémunéré ou non.

Si l'on devait désigner l'"influenceur" numéro 1 de la planète, on pourrait certainement attribuer ce rôle au milliardaire Elon Musk, qui compte 132 millions de followers sur Twitter et est capable de faire bouger les marchés financiers avec un seul tweet. L'ancien président des États-Unis, Donald Trump, a lui-même été élu grâce à sa forte influence sur Twitter.

Elon Musk

Et les crypto-influenceurs ?

La définition d'"influenceur crypto" peut englober beaucoup de choses : des médias spécialisés sur le sujet, des créateurs de contenu, des pages d'informations, etc.

Cette proposition de loi visait premièrement à interdire toutes les communications rémunérées, tuant ainsi beaucoup de créateurs de contenu. Cette approche était simple, radicale et efficace. Depuis, les débats ont permis la proposition de nouvelles alternatives, telles que l'obligation d'enregistrer les influenceurs auprès de l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) ou leur obligation de promouvoir uniquement des produits et services agréés PSAN (sociétés ayant obtenu un agrément de l'AMF en France).

Des propositions dangereuses

Sous couvert de protéger les consommateurs, cette proposition de loi visant à réguler le statut des influenceurs a fini par inclure tous les influenceurs, sans distinction. Bien que louable dans son intention de lutter contre les arnaques, notamment dans le domaine de la vente de produits e-commerce, elle semble être une solution mal adaptée.

Il est à noter que la réglementation de l'influenceur en France est déjà en place, surtout dans le domaine financier, où il est obligatoire pour un influenceur de préciser s'il est rémunéré ou pas. Toutefois, la difficulté de mise en œuvre de ces règlements a été constatée. Les autorités publiques ont du mal à effectuer des contrôles efficaces. Des questions se posent sur la nationalité et le lieu de résidence de l'influenceur ainsi que sur son audience.

Cette proposition de loi risque de tuer le métier de l'influenceur en France en imposant aux influenceurs (crypto) de s'enregistrer, les poussant à quitter le pays. Il est possible que les acteurs français cherchent à s'installer à l'étranger où les contrôles sont plus difficiles à mettre en place. Les créateurs de contenu qui ne peuvent pas s'expatrier devront alors arrêter leur activité, ce qui risque de favoriser des acteurs étrangers.

En outre, la majorité des arnaques et des abus proviennent souvent d'acteurs domiciliés à l'étranger. Par conséquent, la proposition de loi pourrait être inefficace pour atteindre son objectif initial. Il est essentiel de trouver des solutions plus adaptées pour résoudre les problèmes liés à l'influence et à la protection des consommateurs.

Pourquoi ne devraient-ils pas simplement s'enregistrer ou parler uniquement de projets enregistrés ?

La question est légitime. La réponse est simple : aujourd'hui, seulement 60 entreprises sur plus de 600 entreprises crypto en France sont enregistrées en tant que PSAN.

Par exemple, Sorare et Sandbox, deux licornes crypto françaises, n'ont pas effectué l'enregistrement.

Sur ces 60 entreprises, aucune ne possède "l'agrément" PSAN de l'AMF.

Dans l'état actuel de la proposition de loi, un influenceur crypto, même enregistré, ne pourra tout simplement pas promouvoir aucun projet, car aucun n'est agréé, que cet influenceur soit rémunéré ou non.

Si la proposition était étendue aux seules entreprises enregistrées, l'influenceur ne pourrait légalement parler que de ces 60 entreprises.

De plus, les activités couvertes par cette proposition de loi sont trop larges. Sans rémunération, le simple fait de parler d'un service concernant les cryptoactifs, d'une ICO, d'une collection NFT, d'un protocole DeFi ou d'une blockchain serait illégal.

"Le monde a changé"

J'ai vu beaucoup de personnes sur les réseaux sociaux applaudir cette proposition de loi, souvent par haine des "influenceurs". En France, ce terme a une connotation négative, assimilé au cliché de la personnalité de télé-réalité. Pourtant, un influenceur est simplement une personne qui a une audience, quelle qu'elle soit. Nous vivons dans une époque où les informations ne se transmettent plus via les médias traditionnels, mais majoritairement via les réseaux sociaux. Tout le monde a accès à l'information et n'importe qui peut la partager.

Aujourd'hui, toute personne ayant une entreprise, qu'elle soit crypto ou non, en fait la promotion sur les réseaux sociaux, que ce soit en payant des publicités sur ces réseaux (Facebook ads, Google ads, etc.) ou en payant directement des influenceurs spécialisés sur un type de contenu afin de toucher leur audience et de vendre leurs services. Je crois n'avoir jamais vu un projet crypto faire de publicité à la télévision.


C'est ainsi que se termine cette newsletter. J'espère qu'elle vous aura plu.

En imposant des réglementations trop strictes, on empêchera toutes les nouvelles entreprises du secteur de promouvoir leurs services, et donc de réussir à se faire une place. Nous pousserons même probablement certaines vers la faillite. Là où tous nos concurrents étrangers n'auront pas de problème pour promouvoir leurs produits.

En fin de compte, notre industrie naissante se retrouvera en position de retard par rapport à toutes les autres puissances. Les investisseurs français en paieront le prix, car ils seront moins protégés en cas de problème et seront condamnés à se tourner vers des produits étrangers qui seront beaucoup moins régulés.

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