Quand la DeFi est prise en otage par des acteurs centralisés
#6 Quand les modes de gouvernance de protocoles de finance décentralisée (DeFi) sont pris en otage par de gros acteurs centralisés.
Ce nouveau numéro abordera le sujet de la gouvernance dans les protocoles de Finance Décentralisée (DeFi). Et de ses limites.
DeFi, la finance version Internet 3.0
La finance décentralisée (DeFi) est une nouvelle forme de finance basée sur la technologie blockchain.
Celle-ci vise à utiliser les smart contracts (contrats intelligents) pour fournir des services et instruments financiers traditionnels, tels que les prêts, les emprunts, les échanges d'actifs, les assurances, l'épargne, etc.
Contrairement à la finance traditionnelle, elle est uniquement basée sur des algorithmes décentralisés et n'a pas besoin d'intermédiaires centralisés classiques comme des courtiers, des bourses ou des banques.
La DeFi a subi une forte croissance sur la période 2019-2022, passant de 0 à plus de 250 milliards de dollars de volume au top de la bulle fin 2021. Dépassant très largement le volume d'échange des plateformes centralisées.
Uniswap, la principale banque décentralisée du réseau Ethereum
Uniswap est une plateforme d'échange de cryptomonnaies décentralisée basée sur la blockchain Ethereum.
C'est un protocole financier décentralisé qui facilite les transactions automatisées de jetons de cryptomonnaie grâce à l'utilisation de contrats intelligents.
Le nom "Uniswap" désigne à la fois le protocole et la société qui a initialement construit le protocole.
Uniswap est également devenu le plus grand exchange décentralisé (plateforme d'achat et de vente de cryptomonnaies). Son volume de transactions quotidiennes rivalise même avec les plus grosses plateformes d'échanges centralisées (comme Binance, Coinbase, etc).
Les fournisseurs de liquidité fournissent des liquidités à Uniswap en ajoutant une paire de jetons (des cryptomonnaies) à un contrat intelligent. En retour, ils reçoivent une part des frais de négociation gagnés pour cette paire de jetons. Ces frais s'élèvent à plusieurs millions de dollars par jour.
Uniswap étant un protocole décentralisé, les évolutions du protocole (mise à jour) sont votées démocratiquement par les propriétaires du jeton UNI et sont mises en œuvre par une équipe de développeurs.
Une gouvernance démocratique mise en danger par les plateformes d'échanges centralisées
Pour mettre à jour le protocole Uniswap, chaque possesseur d'un jeton "UNI" possède un pouvoir de vote.
Plus une personne possède de jetons, plus le poids de son vote sera important.
À l'heure où j'écris ces lignes, la valeur d'1 jeton UNI vaut $6,8.
Ce type de gouvernance permet donc en théorie à tout le monde de pouvoir influer sur les évolutions du protocole.
En pratique, ce n'est malheureusement pas aussi simple. Une partie des utilisateurs de cryptomonnaies utilisent des plateformes centralisées (CEX) pour stocker ces dernières.
Une plateforme centralisée fonctionne comme une banque. Vous lui prêtez vos actifs et elle s'occupe de les stocker à votre place. Parfois, moyennant des intérêts.
Le fait de mettre ses actifs sous gestion fait que l'utilisateur "perd" son droit de vote. En effet, tant que ses jetons sont sur un exchange centralisé (CEX), il n'y a plus physiquement accès. Et donc ne peut plus les utiliser pour voter.
Cela pointe un gros problème dans la décentralisation de ces protocoles, car en y déposant ses jetons l'utilisateur délègue indirectement son droit de vote à la plateforme de dépôt.
La question s'est posée en Octobre 2022 quand Binance, le principal échange de cryptomonnaies, a déplacé 13 millions de token UNI d'une de ses adresses à une autre.
Binance possédait alors 1.3% des jetons UNI en circulation soit 6% du pouvoir de vote du protocole Uniswap.
Et pouvait donc, si il le souhaitait, directement influencer les votes du protocole. En utilisant les cryptomonnaies de ses clients.
Et ce, en toute légalité, car il n'existe aucune loi couvrant ce sujet !
Le cas Andreessen Horowitz (a16z) Capital
Andreessen Horowitz, également connu sous le numéronyme a16z, est un fonds américain de capital-risque fondé en 2009 par Marc Andreessen et Ben Horowitz. Tous deux anciens de Netscape, le premier navigateur internet.
Ces dernières heures, ce fonds américain fait débat dans la sphère crypto.
Il a en effet utilisé ses 15 millions de jetons UNI (soit plus de 95 millions de dollars) pour voter contre une nouvelle proposition du protocole. Ces 15 millions de jetons représentent environ 2% de l'offre totale de jeton UNI en circulation.
Avec les autres portefeuilles qui seraient sous leur contrôle, ce fond contrôlerait jusqu’à 4,15% des votes de la gouvernance d’Uniswap.
Cette proposition vise à déployer le protocole Uniswap v3 (basé sur Ethereum) sur une autre blockchain, la BNB Chain de Binance. Pour faire le pont entre les deux blockchain, la proposition veut intégrer une solution technique appelée "Wormhole".
La communauté Uniswap accuse le fond capital-risque de voter contre la proposition, car ils ont investi de l'argent dans une solution concurrente appelée "LayerZero".
Le fond, quant à lui, justifie sa décision par le fait que la solution "Wormhole" ait subit un hack ayant causé la perte de 320 millions de dollars en 2022.
Ce "conflit d'intérêt" présumé entre un fond de capital-risque américain et un protocole décentralisé est un exemple concret des limites de ce mode de gouvernance : les décisions sont votées par ceux qui possèdent le plus de jetons.
Et donc in fine, les entités les plus riches, celles avec le plus de capital. Que ce soit des plateformes d'échanges de cryptomonnaies ou des fonds d'investissements classiques. Ou même de gros investisseurs particuliers.
Toutes avec leurs intérêts propres et qui ont la possibilité de se coordonner pour influencer directement les décisions démocratiques de protocoles décentralisés.
Concernant le vote en cours sur le protocole Uniswap, le vote "Pour" est repassé devant d'une courte tête. Le vote se clôture le 10 février. Affaire à suivre.
C'est ainsi que se termine cette newsletter. J'espère qu'elle vous aura plu.
Le Web3 avait initialement pour objectif de redonner le pouvoir aux utilisateurs. En leur faisant prendre part aux processus de développement de ses applications.
Sauf qu'une large majorité des utilisateurs s'abstiennent et, comme dans nos systèmes démocratiques, si les utilisateurs ne votent pas, les puissants acteurs, eux, se mobiliseront toujours pour défendre leurs intérêts !
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