Les Decentralized Autonomous Organization (DAO)
#9 Organisation Autonome Décentralisée. Concept de DAO. Son utilité. Son mode de fonctionnement. Ses spécificités juridiques.
Ce nouveau numéro abordera le sujet des Organisations Autonomes Décentralisées, que tu connais certainement sous le sigle DAO.
Qu'est-ce qu'une DAO ou Organisation Autonome Décentralisée ?
Une DAO est une organisation communautaire et décentralisée qui fonctionne de manière autonome en utilisant la technologie blockchain. Contrairement à une organisation traditionnelle, une DAO n'a pas de dirigeants ni de hiérarchie centrale.
Il n'y a pas d'actionnaires, de représentants, de mandats ou même de discrimination, car tout le monde vote sous pseudonyme.
Les règles de gouvernance de cette organisation sont inscrites dans des smart contracts (contrats intelligents). Ces règles ne peuvent être modifiées qu'avec le consensus de ses membres.
Les décisions sont prises démocratiquement. Chaque membre de l'organisation peut voter sur les propositions et les décisions à prendre, selon les règles fixées par la communauté.
Les décisions sont exécutées automatiquement par des contrats intelligents programmés pour agir selon les résultats du vote.
Comment sont nées les DAO ?
L'invention de la DAO est souvent à tord attribuée à la start-up blockchain Slock.it pour son projet « The DAO », lancée en 2016.
Pourtant, ce concept a été défini dès 2014 par le créateur d'Ethereum, Vitalik Buterin, dans un article de son blog.
Le concept de DAO est dérivé d'un concept similaire né en 2013, la « Decentralized Autonomous Corporation ».
Ce concept a été emprunté à Daniel Larimer, un informaticien et créateur de BitShares (2014), une plateforme d'échange de cryptomonnaies décentralisée et open source. BitShares fonctionnait déjà sous le modèle de DAO.
Daniel Larimer est également l'inventeur d'un algorithme de consensus, le Delegated Proof of Stake (DPoS).
Les algorithmes de consensus
Avant de continuer cette newsletter sur les DAO, je vais prendre quelques minutes pour vous expliquer ce qu'est un algorithme de consensus de blockchain.
Lorsque l'on parle de blockchain, on parle d'une technologie permettant de stocker de l'information sous forme de blocs de données. Ceux-ci sont tous reliés entre eux de manière décentralisée et ne sont pas modifiables.
Comme la blockchain est une sorte de base de données décentralisée, il fallait trouver une source de vérité pour être sûr que l'information stockée soit toujours véridique.
Cette source de vérité est l'algorithme de consensus utilisé par la blockchain.
En termes techniques, c'est un algorithme qui permet aux utilisateurs d'une blockchain de se coordonner et de s'assurer que tous les acteurs du réseau sont d'accord sur la création et l'enchaînement de chaque bloc.
Pour faire simple, c'est une sorte de système d'arbitrage qui pose des règles (comme au football) et qui permet de vérifier que chaque acteur chargé de sécuriser le réseau joue bien le jeu et ne tente pas de trafiquer les données en validant de fausses transactions ou en tentant d'altérer des informations stockées.
Ce processus de vérification permet d'assurer que tout l'historique de transaction de la blockchain est bien correct et infalsifiable.
Il existe de nombreux algorithmes de consensus, avec chacun des avantages et des inconvénients. Les plus connus sont le Proof-of-Work et le Proof-of-Stake.
Comment vote une DAO ?
Je t'ai expliqué plus haut que les DAO définissent leurs règles (comme une constitution) via des smart-contracts.
Pour reconnaître ses membres et savoir qui peut voter pour les décisions, les DAO utilisent principalement ce qu'on appelle un « token (jeton) de gouvernance ».
La possession de ces tokens permet de voter pour les propositions d'amélioration du protocole, ainsi que pour ses mises à jour.
Pour voter, les DAO utilisent principalement snapshot.org, une plateforme de vote décentralisée et open-source.
La DAO est un système de démocratie directe.
Les membres de la DAO votent directement pour les décisions. Pour ce faire, il y a plusieurs méthodes de vote possible :
- le vote à choix simple : plusieurs propositions, un seul vote possible.
- le vote à choix multiple : un utilisateur peut voter pour plusieurs solutions. Celle avec le plus de voix l'emporte.
- le vote par ordre de préférence.
- le vote quadratique.
Le vote quadratique (quadratic voting)
Tu n'as peut-être jamais entendu parler de cette méthode de vote, mais elle est particulièrement appréciée par les DAO.
Le vote quadratique a été inventé par le chercheur Glen Weyl pour éviter la supposée « tyrannie de la majorité » en permettant aux participants d'exprimer la direction de leurs préférences, le degré de leurs préférences et à quel point ils les ressentent.
Je vais vous l'expliquer.
Chaque électeur se voit attribuer un budget de crédits de vote qu'il peut dépenser.
Si un électeur soutient ou s'oppose fortement à une décision particulière, il peut allouer des votes supplémentaires pour démontrer le niveau de son soutien ou de son opposition à une décision spécifique.
Le coût des votes supplémentaires est déterminé par une règle de tarification des votes, chaque vote devenant plus cher que le précédent. L'augmentation du coût du crédit des électeurs démontre le degré de soutien ou d'opposition à une décision particulière.
Le vote quadratique utilise une formule simple :
coût pour l’électeur = (nombre de votes)2
Pour vous aider à mieux comprendre, je vais vous donner un exemple.
Supposons qu'un électeur dispose d'un budget de 16 crédits de vote et que 16 propositions sont soumises à un vote.
Si l'électeur préfère fortement une des propositions, il peut allouer quatre votes à cette question au prix de l'ensemble de son budget.
Les quatre votes pour une même proposition lui coûteront ses 16 crédits de vote, car le coût de chaque vote supplémentaire devient plus cher de manière quadratique.
Ainsi, 1 vote coûterait 1 crédit, 2 votes en coûteraient 4, 3 votes en coûteraient 9 et le 4ème vote en coûterait 16.
La gestion des fonds au sein d'une DAO
Outre le système de prise de décision, l'un des autres aspects importants d'une DAO est la gestion de sa trésorerie.
Celle-ci est utilisée de manière décentralisée selon les votes des membres de l'organisation.
Gérer des fonds de manière décentralisée signifie que personne ne possède physiquement un accès à la trésorerie, car la propriété de cette dernière appartient aux utilisateurs de la DAO.
Il est crucial que cette trésorerie soit gérée de manière durable, en maintenant un solde positif et en diversifiant les actifs pour limiter les risques liés à la volatilité ou à la faillite de certains d'entre eux.
Comme le dirait le célèbre investisseur Warren Buffett :
Le portefeuille Multisig, outil pour sécuriser les fonds
Pour résoudre le problème d'accès à ce portefeuille, on utilise ce qu'on appelle un coffre-fort numérique multi-signature, « multisig », souvent un Gnosis Safe Multisig, dont le code est open-source.
Ce processus permet de donner accès à la trésorerie à plusieurs membres de la DAO répartis dans des pays différents.
Lorsqu'une transaction doit être effectuée, ceux-ci doivent obligatoirement valider la transaction. Si la transaction est suspecte et ne correspond pas à un vote, ils peuvent annuler cette dernière.
Les règles de validation peuvent varier.
Par exemple, si le portefeuille multisig compte 100 membres, il est possible d'exiger que tous les membres valident chaque transaction. Cependant, cela peut poser un problème si un membre est indisponible (perte de connexion Internet, accident, perte de la clé privée, etc.), car les fonds seront bloqués sans moyen de les récupérer.
Pour éviter ce risque, il est souvent défini une règle de validation arbitraire, comme celle qui consiste à valider une transaction après l'accord d'au moins 70% des membres.
Il est important de noter que pour ajouter ou supprimer des membres, la validation des autres membres sera également requise.
Et la sécurité dans tout ça ?
Il est important de dire que les DAO ne sont pas des modèles parfaits et qu'ils ne sont pas sans risques.
Premièrement, il peut être difficile de parvenir à un consensus sur les décisions importantes.
Et surtout, les contrats intelligents peuvent être sujets à des bugs ou des vulnérabilités.
L'un des exemples les plus tristement connus est The DAO. Fondée en 2016, cette DAO était destinée à financer des projets contribuant au développement du protocole Ethereum.
Cette DAO fonctionnait comme un « fonds d’investissement » décentralisé. Les décisions étaient prises collectivement par les participants. Les fonds des participants étaient déposés dans un smart-contract en contrepartie de tokens The DAO.
Après avoir levé un peu plus de 150 millions de dollars en Ether (la monnaie d'Ethereum), The DAO fit l’objet d’un piratage et se fit voler environ un tiers de ses fonds.
7 ans après, les outils ont bien évolué et et permettent maintenant de réduire fortement ces risques.
Boom des DAO ces dernières années
Ces dernières années, et tout particulièrement depuis 2020, on assiste à une explosion des DAO.
Il en existe des centaines qui génèrent des dizaines de milliards de dollars d'actifs.
On pourrait citer le protocole de finance décentralisée Uniswap, lancé en 2020 et capitalisé à plus de 4 milliards de dollars. J'ai précédemment écrit un article à ce sujet.
Ou MakerDAO, la DAO qui gère le Stablecoin décentralisé "DAI", capitalisé à plus de 5 milliards de dollars.
Voici une liste des 10 plus grosses DAO :
Statut juridique des DAO
Cette explosion des DAO séduit de par son caractère démocratique et communautaire, mais également de par sa spécificité juridique.
Les porteurs de projets blockchain et DAO sont souvent réticents à l’idée de se structurer juridiquement, en respect du principe même de décentralisation, valeur première des technologies blockchain.
Le statut juridique des DAO est flou et varie selon les juridictions.
Cette organisation étant décentralisée, il est difficile d'en définir la responsabilité légale. Bien que cette entité ne soit pas une coquille vide et qu'elle s’organise et évolue par elle-même, il est parfois impossible d’en identifier un responsable, que ce soit une personne physique ou morale.
Peut-on assigner une DAO en justice ?
Une DAO dispose-t-elle de la capacité de contracter ?
Une DAO est-elle soumise aux règles du droit ?
Qui est responsable de la faute issue d'une décision prise par la communauté ?
Ce flou juridique et le durcissement de la réglementation crypto ces dernières années poussent de nombreux projets à se structurer sous forme de DAO, d'une part pour les valeurs de décentralisation et d'autre part pour éviter la pression des régulateurs. J'ai récemment écris un article sur la régulation qui touche le secteur crypto.
C'est ainsi que se termine cette newsletter. J'espère qu'elle vous aura plu.
Les DAO sont une nouvelle forme de gouvernance qui change radicalement du modèle des sociétés traditionnelles. Après bientôt 10 ans d'évolution, elles arrivent maintenant à maturité et ont montré leur capacité à créer des projets sérieux.
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À la semaine prochaine ! ☀️
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