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Le pouvoir du récit narratif dans les cryptomonnaies

Le pouvoir du récit narratif dans les cryptomonnaies

#23 Dans cet article, nous allons explorer l'univers fascinant des cryptomonnaies, mais du point de vue du récit narratif. Nous n'allons pas nous attarder sur les discussions techniques.


Le Bitcoin et les cryptomonnaies sont très assujettis aux pouvoirs narratifs. Ce sont le développement de divers narratifs entourant les cryptomonnaies depuis leur création qui font le succès de ces dernières.

Il y a 7 mois, j'écrivais l'article "Bitcoin : Les plus gros acteurs financiers entrent en piste", pour dire que les plus gros acteurs financiers américains, à savoir BlackRock, Invesco, Fidelity et d'autres, représentant plus de 15 000 milliards de dollars d'actifs sous gestion, avaient fait la demande d'un ETF Bitcoin au comptant.

Un ETF au comptant permet aux investisseurs d'acheter du Bitcoin sans avoir à détenir directement la cryptomonnaie.
C'est l'intermédiaire éditeur de l'ETF qui détiendra les Bitcoins.

Il y a quelques jours, le gendarme financier américain, la SEC, a accepté ces demandes d'ETF, et ce après 7 mois de débat. Cela faisait depuis 10 ans que la SEC refusait des demandes d'ETF Bitcoin au comptant. Ils ont été lancés dès la fin de semaine dernière.

En permettant à ces ETF de se lancer, le Bitcoin est devenu un actif financier officiellement reconnu par Wall Street et les États-Unis d'Amérique. Et renforçant ainsi le récit narratif de l'adoption du Bitcoin.

Derrière chaque grande innovation se cache une histoire, un récit qui a le pouvoir de galvaniser l'imagination collective.

Bitcoin incarne l'un des récits technologiques les plus fascinants de notre ère.

Le début de l'épopée de Bitcoin

L'épopée de Bitcoin commence un jour d'automne 2008, lorsque Satoshi Nakamoto publie un document qui allait changer le monde de la finance.
Ce document, c'est le livre blanc du Bitcoin, intitulé "Bitcoin: A Peer-to-Peer Electronic Cash System".

Le white paper de Bitcoin fête ses 11 ans - bitcoin.fr

Ce document de 9 pages présente une idée révolutionnaire : celle d'une monnaie numérique totalement décentralisée, une monnaie qui n'appartiendrait à personne, ni aux banques, ni aux États.

Ce livre blanc ne se contente pas de proposer une technologie révolutionnaire, il lance également le début d'un récit captivant, celui d'une rébellion contre le système financier déjà en place.

Le Bitcoin est né sur les cendres de la crise financière de 2008

Bitcoin est né dans un contexte particulier, celui de la crise financière de 2008. Cette période a été marquée par une avalanche de faillites bancaires et par une récession mondiale, alimentant ainsi le scepticisme croissant envers le système financier traditionnel. Bitcoin, avec son alternative décentralisée, est apparu comme une solution novatrice. Il est apparu comme la solution alternative qui offrirait le moyen de réaliser des transactions sans avoir besoin de banque ou de la validation de certains États. Le récit politique de Bitcoin a rapidement trouvé un écho chez les personnes qui étaient sceptiques des institutions financières. Il a captivé l'imagination de tous ceux qui cherchaient des alternatives à ce système et de tous ceux qui rêvaient d'un monde financier plus équitable et plus transparent.

En offrant une solution à un problème ressenti par des millions de personnes dans le monde, Bitcoin a fait beaucoup plus que proposer une nouvelle technologie. Il leur a offert une nouvelle vision du monde.

Bitcoin, un narratif de liberté financière face aux banques

Le parcours de Bitcoin illustre parfaitement le pouvoir du récit narratif et du story telling. Les histoires construites autour de cette cryptomonnaie ont été un moteur à son adoption. Ces histoires lui ont permis de résister à des chutes brutales.

Wall Street firms to take on Binance, Coinbase, other crypto-native  exchanges

Au cœur de son récit initial, Bitcoin proposait une liberté financière et une résistance face à un système financier jugé défaillant. Les premiers adoptants de Bitcoin n'étaient pas uniquement des personnes en recherche d'une opportunité financière. Beaucoup parmi eux étaient des visionnaires et des idéalistes, croyant en la révolution Bitcoin. Ils croyaient en le pouvoir disruptif de cette technologie et c'étaient souvent des individus en quête de liberté, influencés par les idéologies libertariennes, voire anarcho-capitalistes.

Cette communauté de premiers croyants a formé le socle sur lequel Bitcoin a construit sa croissance, la soutenant à la fois dans les phases de hausse et dans les phases de baisse.

Au fur et à mesure de ses augmentations constantes de prix, Bitcoin a façonné un nouveau récit, celui de l'or numérique, celui d'un actif aussi précieux, voire plus précieux que l'or, celui d'un actif tellement précieux que tout le monde voudrait en posséder.

Ce récit a attiré une nouvelle vague d'adeptes, non plus seulement intéressés par la rébellion contre le système financier, mais surtout intéressés par la promesse de richesse rapide.

C'est l’adage : celui qui croit en Bitcoin deviendra riche.

Le créateur de Bitcoin, une figure mystique

Qui est Satoshi Nakamoto, le créateur du Bitcoin ?

L'aura mystique entourant Bitcoin, notamment dû à l'identité toujours inconnue de son créateur Satoshi Nakamoto, a ajouté une dimension mythologique à cette cryptomonnaie.

Le récit de Bitcoin, de par l'identité cachée de son fondateur, a rendu ce récit totalement mythique. Ce mystère contribue à renforcer la fascination qu'ont les gens envers Bitcoin. Cette fascination a même engendré une sorte de culte autour de l'identité de son créateur.

Si on analyse la figure de Satoshi Nakamoto, c'est vraiment l'équivalent d'une sorte de nouvelles figures religieuses, une figure qui est apparue, qui a créé une technologie disruptive et potentiellement révolutionnaire, et qui a disparu, le tout sans même s'enrichir personnellement, parce que les bitcoins qu'il possède n'ont jamais bougé depuis 15 ans.

Après Bitcoin, vient le narratif d'Ethereum

Après avoir exploré l'épopée de Bitcoin, tournons-nous maintenant vers un des plus importants autres acteurs des cryptomonnaies : Ethereum. Ethereum n'est pas une simple suite de l'histoire de Bitcoin, c'est plutôt l'ouverture d'un nouveau chapitre passionnant des technologies blockchain.

Ethereum a été lancé en 2015 par un jeune programmeur du nom de Vitalik Buterin. Ce jeune programmeur a vu dans Bitcoin bien plus qu'une simple révolution monétaire. Il y a vu une plateforme qui serait capable d'accueillir des milliers d'applications décentralisées. Et c'est par ce biais que réside l'application principale d'Ethereum, qui est la création de Smart Contracts.

Cryptomonnaies : à 27 ans, le cofondateur de l'Ethereum est désormais  milliardaire | Les Echos
Vitalik Buterin, Fondateur d'Ethereum

Le narratif des Smart Contracts

Les Smart Contracts, ou contrats autonomes en français, sont des programmes qui s'exécutent de manière autonome sur une blockchain décentralisée. Ils s'exécutent quand certaines conditions sont remplies, et ce, sans avoir besoin d'une intervention humaine.

Cette nouvelle technologie a ouvert la porte à des possibilités presque illimitées. Imaginez, par exemple, un contrat de mariage qui s'exécute sur la blockchain en cas de divorce.

Ce contrat pourrait s'exécuter et l'argent pourrait être réparti entre les deux personnes. Imaginez qu'en cas de décès, le contrat de succession s'applique automatiquement et ce, sans avoir besoin de l'intervention d'un notaire. Imaginez qu'en cas de vente d'un bien immobilier, vous n'ayez plus besoin de passer chez le notaire parce que vous pourrez simplement vendre le contrat sur la blockchain à un autre contrat, et donc le titre de propriété sera automatiquement transféré. C'est le genre de possibilités révolutionnaires qu'offrent les Smart Contracts.

Ethereum a ainsi posé les bases d'un nouveau récit au sein des cryptomonnaies. Si Bitcoin était perçu comme une monnaie alternative au système bancaire traditionnel, Ethereum s'est rapidement positionné comme l'infrastructure permettant la naissance d'un écosystème totalement décentralisé. Les applications basées sur Ethereum touchent à tous les domaines, que ce soit la finance, l'art, l'éducation, les assurances, et bien d'autres encore. Et ce qui est magique dans cette histoire, c'est qu'à chaque nouvelle application et à chaque nouveau cas d'usage, le récit entourant ces technologies s'élargit.

Les Smart Contracts ont également permis l'arrivée d'un nouveau récit, d'un très fort récit qui entoure Ethereum : celui de la finance décentralisée.

Le narratif de la Finance Décentralisée (DeFi)

La finance décentralisée est un nouveau concept qui a pris d'assaut le monde financier.

Ce concept permet de révolutionner la manière dont nous interagissons avec les services financiers. Elle repose sur une idée audacieuse : celle de créer un système ouvert, transparent et accessible à tous, sans avoir besoin de l'intermédiaire de banques et de toute autre institution financière traditionnelle.

Ce récit est captivant et, comme Bitcoin, il s'attaque à une frustration profonde envers le système financier traditionnel. Il s'attaque au manque de transparence de ce système financier, aux coûts qui peuvent être élevés, et au problème de l'inaccessibilité pour certains aux produits financiers.

Dans l'univers de la finance décentralisée, tous les services financiers, tels que les prêts, les assurances, les emprunts, sont déployés sur la blockchain par le biais de Smart Contracts. Ces contrats automatisent ces services financiers, en supprimant directement l'intermédiaire, ce qui réduit forcément ainsi les coûts et les complications.

Le récit de la finance décentralisée va bien au-delà d'une offre financière alternative. Il incarne un avenir où chacun est capable de contrôler et de gérer ses actifs financiers de manière totalement autonome. Ce récit est porteur d'un message puissant : celui d'un monde où la finance est construite par ses utilisateurs pour ses utilisateurs, et les libère des contraintes du monde financier traditionnel.

Logo d'Uniswap, l'un des leaders de la finance décentralisée

Le narratif du Web3

Un autre nouveau récit important ces dernières années de la blockchain et des cryptomonnaies est celui du Web 3.

Quand vous entendez parler de blockchain et de cryptomonnaie, vous entendez souvent parler de Web 3.

Le Web 3 promet un Internet où les utilisateurs ont un contrôle direct de leurs données. Il promet donc une révolution par rapport au modèle du web classique, le Web 2.

C'est une vision d'un Internet plus démocratique, plus sécurisé et plus transparent, où les utilisateurs sont les véritables propriétaires de leurs données. Ce récit séduit un public soucieux de la vie privée, mais également soucieux de la souveraineté numérique. Plus globalement, le terme Web 3 sert un récit plus large et englobe des applications qui vont bien au-delà des simples cryptomonnaies. Il touche à plein de secteurs variés, tels que le gaming, l'éducation, la santé, et plein d'autres choses encore.

Bien entendu, on ne peut pas parler du pouvoir immense du récit et du storytelling dans le Web 3 sans parler de l'entité qui est le catalyseur de ce récit. Cette entité, c'est le pouvoir médiatique.

Le rôle des médias dans la construction de cette narration

Les médias jouent un rôle incontestable dans la manière dont l'histoire des cryptomonnaies est racontée. Ils jouent un rôle dans la manière dont elles sont perçues et adoptées par le grand public. Les médias ont le pouvoir d'amplifier les récits entourant Bitcoin, Ethereum et les autres cryptomonnaies, que ce soit en positif ou bien en négatif.

L'exposition médiatique façonne de façon significative la perception qu'a le public des cryptomonnaies, influençant ainsi leur adoption et leur valeur. Prenons, par exemple, l'annonce de Tesla en 2021, quand l'entreprise a annoncé investir, donc acheter, 1,5 milliard de dollars de Bitcoin. Cette nouvelle, relayée par les médias, a propulsé le Bitcoin à des sommets historiques et a également marqué un tournant dans l'adoption des cryptomonnaies, présentant ainsi Bitcoin comme un investissement légitime. En 2023, lorsque des géants institutionnels tels que BlackRock et Vanguard ont exprimé leur intérêt de lancer un fonds Bitcoin, cela a déclenché une vague de couverture médiatique qui a encore renforcé la légitimité de Bitcoin et des cryptomonnaies.

Toutefois, le récit médiatique n'est pas forcément que positif. Il vient aussi avec des mauvais points. La volatilité des cryptomonnaies et la relative complexité de certaines technologies blockchain conduisent parfois à la mauvaise compréhension de certains journalistes et à la diffusion de certains reportages à charge. Des reportages sensationnalistes, parfois très mal informés, qui portent atteinte au développement de l'industrie des cryptomonnaies. Ces récits peuvent mener à la confusion et contribuer à des mouvements de marché irréfléchis. Il est donc crucial pour tout investisseur en cryptomonnaie de prendre du recul à chaque fois qu'il lit une actualité sur le secteur. Il est important et primordial de toujours rester critique face à ce qu'on lit sur Internet.

Malgré ces points, il est indéniable que les médias participent à l'adoption sociale des cryptomonnaies. Ils ont la capacité de transformer des innovations techniques en phénomènes culturels, façonnant ainsi le futur de ces technologies et donc facilitant ainsi leur intégration dans la vie quotidienne.


Voilà, nous sommes maintenant arrivés au terme de cet article sur le pouvoir du récit dans les cryptomonnaies.

Ce que nous devons retenir, c'est que les cryptomonnaies ne sont pas simplement des phénomènes technologiques. Elles sont aussi et surtout un phénomène narratif. Elles montrent comment les histoires que nous racontons, que nous adoptons, que nous partageons peuvent façonner non seulement la technologie, mais aussi la culture, l'économie et toute la société dans son ensemble.

À la prochaine ! ☀️