Cryptomonnaies : la nécessité du lobbying face aux régulateurs
#14 Régulation. Lobbying. L'écosystème crypto, encore trop immature pour bien défendre ses intérêts ?
Point actualité
(2 min de lecture)
Avant de commencer cette newsletter, je souhaitais vous partager quelques informations intéressantes :
- La licorne française Ledger, spécialisée dans la sécurisation des cryptomonnaies, a réalisé une levée de fonds de 100 millions d'euros. Ledger avait précédemment levé 380 millions de dollars en 2021. Elle est aujourd'hui valorisée à 1,3 milliard de dollars.
- Bittrex, une plateforme d'échange de cryptomonnaies créée en 2014, a annoncé mettre fin à ses activités aux États-Unis "en raison de l'incertitude réglementaire". Cette dernière a récemment reçu une amende de 30 millions de dollars pour n'avoir pas empêché des individus basés en Crimée, à Cuba, en Iran, au Soudan et en Syrie, d'utiliser ses services. Les plateformes Binance et Coinbase sont également sous le coup d'enquêtes des régulateurs américains.
- Crédit Agricole (CIB), la banque de financement et d’investissement du groupe Crédit Agricole, en partenariat avec le groupe financier SEB, vient de dévoiler sa plateforme "So|bond". Celle-ci permet d'émettre sur les marchés des obligations numériques sur un réseau blockchain, améliorant l’efficacité des usages et permettant une synchronisation des données en temps réel entre participants. Le réseau blockchain utilise un protocole de validation "Proof of Climate Awareness" qui encourage les participants à minimiser leur empreinte environnementale.
- PMU, l'opérateur de paris hippiques, a réussi son entrée dans le monde du Web3 en vendant la totalité des 6.666 NFT de son projet de "fantasy game" baptisé "Stables". Cette plateforme aura pour objectif de faire s’affronter les différents chevaux numériques afin de gagner des récompenses. Le PMU a toutefois l'interdiction de faire gagner de l’argent sur ce projet.
- Le gouvernement français prépare un projet de loi pour que les entreprises qui proposent des jeux blockchains bénéficient d'un "cadre réglementaire adapté". Le gouvernement projette de créer un régime similaire à celui des jeux d'argent. Avec certaines règles plus souples, comme par exemple ne pas obliger les joueurs à indiquer leur domiciliation.
Si tu ne sais pas ce qu'est un jeu Web3, j'ai précédemment écrit un article à ce sujet.
- L'Assemblée Nationale a, sans surprise, adopté la loi visant a réguler les influenceurs. J'ai écrit un article sur le sujet il y a deux semaines. Cette loi impose aux influenceurs français de s'enregistrer auprès de l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) et de ne parler que des sociétés possédant "l'agrément PSAN".
Si ce point précis n'est pas modifié lors de son passage au Sénat, les influenceurs français ne pourront plus être rémunérés pour parler de projets cryptos, car, à l'heure actuelle, sur les 600 entreprises crypto que compte la France, aucune entreprise ne possède "l'agrément" PSAN.
Sujet de fond (8 min de lecture)
Réglementation, Lobbying : le nerf de la guerre
La technologie blockchain et les cryptomonnaies ont connu une croissance exponentielle ces dernières années. Face à cette expansion, les gouvernements et les organisations ont été contraints de prendre position sur ces innovations.
D'une part, sous la pression de certains politiques et des lobbies bancaires et de l'autre, sous la pression d'une partie de l'opinion publique, après la faillite de plusieurs entreprises du secteur.
Ces prises de position des régulateurs peuvent être parfois violentes, tout particulièrement aux États-Unis où le régulateur américain mène depuis quelques mois une guerre ouverte contre l'industrie des cryptomonnaies :
Interdiction du stablecoin de Binance BUSD, poursuites judiciaires contre le géant Binance et son PDG, contre Ripple, amende contre Bittrex, menaces contre Coinbase, etc.
Si tu souhaites en apprendre plus sur ce sujet, je te conseille de lire un de mes précédents articles.
Face à ces attaques de toute part, que ce soit aux États-Unis, au Parlement européen, et même en France, j'ai décidé d'aborder la thématique du lobbying. Et de la nécessité qu'ont les entreprises du secteur blockchain de s'organiser en lobbies et même de faire élire des candidats "pro-cryptos" pour assurer que les futures régulations soient équilibrées et favorables au développement de cet écosystème.
Qu'est-ce que le lobbying ?
Le lobbying est un processus par lequel des individus ou des organisations cherchent à influencer les décisions politiques et législatives, en général en faveur de leurs propres intérêts ou de ceux de leur secteur d'activité. Le lobbying peut prendre diverses formes, comme des rencontres avec des décideurs politiques, des campagnes de sensibilisation du public, des actions de communication ou des contributions financières à des candidats politiques.
Les lobbyistes peuvent représenter une large gamme d'acteurs, tels que des entreprises, des associations professionnelles, des syndicats, des organisations non gouvernementales (ONG) ou des groupes de citoyens. Leur objectif est généralement de promouvoir des politiques, des lois ou des régulations qui favorisent les intérêts de leurs clients ou de leur secteur, ou de s'opposer à des mesures qu'ils considèrent comme défavorables.
Controversée en Europe, la pratique du lobbying est courante aux États-Unis.
Les principales forces de lobbying "anti-crypto" viennent majoritairement de groupes cherchant à freiner leur expansion, comme par exemple des grandes banques et les banques centrales. Avec principalement comme argument la "protection des consommateurs", "la fraude" et "le blanchiment d'argent".
Côté "pro-crypto", les plateformes d’échange de cryptomonnaies et grandes entreprises locales allouent une part importante de leurs dépenses à ce domaine. Selon un rapport de The Money Mongers, la plateforme d'échange Coinbase, cotée en Bourse, remporte la palme de l’entreprise ayant le plus dépensé en lobbying en 2021. Le géant américain a dépensé 3,3 millions de dollars pour influencer les décisions des politiques en faveur de l’écosystème.
Récemment, Coinbase a reçu des menaces de poursuites de la part de la SEC, le gendarme financier américain. En réponse, son PDG, Brian Armstrong, a annoncé que son entreprise soutiendra directement des candidats pro-crypto aux élections américaines.
Les enjeux du lobbying pro-crypto
Le lobbying pro-crypto joue un rôle crucial dans la défense et la promotion des intérêts de l'industrie des cryptomonnaies. Il vise principalement à créer un environnement réglementaire propice à l'innovation et à la croissance, tout en tenant compte des enjeux de sécurité, de protection des consommateurs et de lutte contre les activités illicites.
L'un des enjeux majeurs du lobbying pro-crypto est d'éduquer les décideurs politiques, les régulateurs et le grand public sur les avantages et le potentiel des cryptomonnaies et de la technologie blockchain. Il est important de démystifier les idées reçues et de mettre en lumière des cas d'utilisation concrets, tels que les transferts de fonds internationaux, la traçabilité des produits ou la digitalisation des actifs financiers.
Le lobbying pro-crypto vise à encourager l'adoption de régulations adaptées, proportionnées et favorables à l'innovation. Il est crucial de trouver un équilibre entre la protection des consommateurs, la lutte contre les activités illicites et la stimulation de la croissance du secteur. Les acteurs du lobbying pro-crypto collaborent souvent avec les régulateurs et les législateurs pour co-construire des régulations qui répondent à ces enjeux.
Le lobbying pro-crypto a pour objectif d'assurer une représentation équitable de tous les acteurs de l'écosystème crypto, des startups aux investisseurs en passant par les développeurs et les utilisateurs. Il est essentiel que les législations et les régulations tiennent compte des besoins et des préoccupations de ces différents acteurs, afin d'éviter des régulations trop restrictives ou disproportionnées.
Le lobbying pro-crypto promeut également la coopération et la coordination entre les différentes juridictions à l'échelle internationale. Étant donné la nature décentralisée et transfrontalière des cryptomonnaies, il est important d'établir un cadre réglementaire harmonisé qui favorise l'interopérabilité des systèmes et la coopération entre les autorités nationales. Cela permettrait aux entreprises et aux investisseurs de naviguer plus facilement dans le paysage réglementaire mondial.
Les défis du lobbying anti-crypto
Le lobbying anti-crypto, quant à lui, cherche en partie à freiner l'essor des cryptomonnaies et de la technologie blockchain. Ces groupes peuvent avoir divers objectifs, et leurs arguments et préoccupations peuvent parfois être fondés sur des enjeux légitimes.
Un des défis majeurs du lobbying anti-crypto est de protéger les intérêts des institutions financières traditionnelles, telles que les banques et les organismes de régulation financière. Ces institutions peuvent percevoir les cryptomonnaies comme une menace pour leur modèle économique et leur position dominante dans le secteur financier. Le lobbying anti-crypto cherche donc à mettre en avant les risques et les limites des cryptomonnaies pour défendre les intérêts de ces acteurs traditionnels.
Le lobbying anti-crypto met souvent en exergue les risques associés aux cryptomonnaies, tels que l'utilisation à des fins criminelles, la volatilité, le blanchiment d'argent et les risques pour les investisseurs non avertis. Ces préoccupations sont parfois justifiées et doivent être prises en compte dans l'élaboration des régulations. Cependant, le lobbying anti-crypto peut également exagérer ces risques ou les présenter de manière unilatérale pour justifier des régulations excessivement strictes ou prohibitives.
Un autre défi du lobbying anti-crypto est de pousser les gouvernements à adopter des régulations particulièrement strictes, voire prohibitives, qui entraveraient le développement du secteur des cryptomonnaies. Ces groupes peuvent chercher à influencer les législateurs et les régulateurs en mettant en avant les risques potentiels des cryptomonnaies pour la stabilité financière, la protection des consommateurs ou la lutte contre la criminalité. En conséquence, certaines régulations pourraient s'avérer inadaptées ou disproportionnées, limitant ainsi l'innovation et la croissance du secteur.
Le lobbying anti-crypto peut également être animé par une résistance au changement et un désir de préserver le statu quo. Les acteurs du lobbying anti-crypto peuvent craindre que l'essor des cryptomonnaies et de la technologie blockchain ne remette en cause les modèles économiques et sociaux existants. Dans ce contexte, le lobbying anti-crypto cherche à freiner l'innovation et à maintenir les systèmes financiers et réglementaires actuels.
Les difficultés et l'incapacité des pro-crypto à créer un lobbying puissant
Malgré l'importance d'un lobbying pro-crypto solide pour défendre les intérêts de l'écosystème, les acteurs pro-crypto font face à plusieurs défis pour créer un lobbying puissant et influent.
L'écosystème des cryptomonnaies est composé d'une multitude d'acteurs aux intérêts divers, tels que les développeurs, les investisseurs, les entreprises, les influenceurs et les utilisateurs. Cette fragmentation peut rendre difficile la constitution d'un front uni et cohérent pour défendre les intérêts de l'industrie dans son ensemble. Les divergences d'opinions et d'objectifs entre ces acteurs peuvent affaiblir l'efficacité du lobbying pro-crypto.
Le lobbying nécessite souvent des ressources financières importantes pour mener des campagnes d'information, organiser des événements et soutenir des candidats pro-crypto lors d'élections. Les acteurs pro-crypto, en particulier les startups et les organisations à but non lucratif, peuvent manquer de moyens financiers pour soutenir un lobbying puissant et efficace face aux groupes anti-crypto mieux établis et financés.
La mobilisation des acteurs de l'écosystème crypto pour s'engager activement dans le lobbying peut s'avérer complexe. Les acteurs pro-crypto sont souvent concentrés sur le développement de leurs projets ou de leurs investissements, et peuvent manquer de temps ou d'expertise pour participer aux efforts de lobbying.
De plus, certains acteurs de l'écosystème peuvent adopter une approche individualiste ou isolationniste, préférant se concentrer sur leurs intérêts propres plutôt que sur ceux de l'ensemble du secteur.
C'est exactement ce qui s'est passé en France avec la loi portant sur les influenceurs. Il y a eu une mobilisation tardive et en ordre dispersé des acteurs de l'industrie contre certains articles du texte, notamment ceux imposant l'enregistrement et l'agrément PSAN.
La technologie blockchain et les cryptomonnaies sont des sujets complexes qui nécessitent une compréhension approfondie pour être expliqués de manière claire et convaincante. Les acteurs pro-crypto peuvent rencontrer des difficultés à transmettre leurs messages et à convaincre les décideurs politiques et le grand public des avantages de la technologie. Cela peut limiter l'impact du lobbying pro-crypto et nuire à sa capacité à influencer les législations et les régulations.
Les acteurs pro-crypto doivent également faire face à l'opposition des institutions financières traditionnelles et des groupes de lobbying anti-crypto. Ces acteurs disposent souvent de ressources importantes et d'une influence politique considérable, ce qui peut rendre difficile la défense des intérêts des cryptomonnaies face à ces puissants adversaires.
L'importance d'élire des candidats pro-crypto lors d'élections
Pour contrebalancer les efforts de lobbying anti-crypto et assurer un environnement réglementaire favorable aux cryptomonnaies, il est essentiel d'élire des candidats pro-crypto lors d'élections. Ces candidats peuvent jouer un rôle crucial dans la promotion d'une législation et d'une régulation équilibrées, en tenant compte des avantages et des défis liés à l'adoption des cryptomonnaies et de la technologie blockchain.
Les candidats pro-crypto sont plus susceptibles de défendre une régulation équilibrée qui favorise l'innovation tout en protégeant les consommateurs et en luttant contre les activités illicites. Ils peuvent plaider pour des régulations adaptées et proportionnées, qui tiennent compte des spécificités de l'écosystème des cryptomonnaies et encouragent son développement. De plus, ils peuvent contribuer à la création de législations qui soutiennent la recherche et l'adoption de la technologie blockchain dans divers secteurs.
En élisant des candidats pro-crypto, il est possible de réduire le risque de mise en place de régulations inadaptées ou discriminatoires envers l'industrie des cryptomonnaies. Ces candidats sont plus à même de comprendre les enjeux et les défis liés aux cryptomonnaies, et donc de s'opposer à des mesures trop restrictives ou disproportionnées qui pourraient freiner l'innovation et la croissance du secteur.
Les candidats pro-crypto peuvent également promouvoir la coopération internationale pour l'élaboration d'une régulation harmonisée et coordonnée en matière de cryptomonnaies. Étant donné la nature décentralisée et transfrontalière des cryptomonnaies, une approche coordonnée et cohérente entre les différents pays est essentielle pour assurer la stabilité du marché, lutter contre les activités illicites et faciliter l'adoption des cryptomonnaies à l'échelle mondiale.
Enfin, élire des candidats pro-crypto permet de garantir que les intérêts de l'écosystème crypto sont représentés au sein des instances politiques et législatives. Ces candidats peuvent servir de porte-parole pour les acteurs de l'industrie, en veillant à ce que leurs préoccupations et leurs besoins soient pris en compte lors de l'élaboration de régulations et de législations.
C'est ainsi que se termine cette newsletter. J'espère qu'elle vous a plu.
Le sujet du Lobbying est un sujet tabou dans nos démocraties modernes. Tout particulièrement en Europe. Pour beaucoup, ces pratiques sont assimilées à de la corruption.
Pourtant, la possibilité d'organiser la défense de ses intérêts en toute liberté est un principe démocratique.
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