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Crypto-régulation : la guerre est déclarée

Crypto-régulation : la guerre est déclarée

#7 Les régulateurs financiers américains ont décidé de s'attaquer au secteur des cryptomonnaies.


Ce nouveau numéro abordera le sujet de la régulation du secteur des cryptomonnaies aux États-Unis. Des premières mesures, il y a 5 ans, aux nouvelles mesures qui frappent durement le secteur ces dernières semaines.

Avec pour objectif assumé de mettre fin au "Far-West" des cryptomonnaies.


Le secteur des cryptomonnaies a, pendant longtemps, joui d'une impunité presque totale. Créé par des anarchistes pour des anarchistes, celui-ci s'est développé en parallèle des institutions traditionnelles.

Avec pour objectif premier de les remplacer.

Si tu souhaites en apprendre plus sur les mouvements qui ont inventé les cryptomonnaies, j'ai précédemment écrit un article à ce sujet.

2017, le grand public découvre les cryptomonnaies

Jusque-là réservées à des initiés sur des forums, le grand public a, en 2017, pour la première fois, entendu parler des cryptomonnaies.

Le Bitcoin a vu sa valeur augmenter de plus de 2400%, passant de $800 début 2017 à $19,000 fin 2017.

Les altcoins (les cryptomonnaies qui ne sont pas du Bitcoin) ont également connu une explosion sans précédent.

L'Ethereum, la deuxième cryptomonnaie du marché, a vu sa valeur passer de $7 début 2017 à $1450 début 2018. Soit une croissance de +20,000% en un an !!

En bleu, la période 2017-2018

Son succès s'explique en partie grâce à la démocratisation du concept de smart-contracts (contrats intelligents).

Ethereum est une blockchain qui se destine au développement d'applications décentralisées. N'importe quel développeur peut y déployer des applications en utilisant des "smart-contracts"(ce sont des programmes informatiques transparents et décentralisés).

La blockchain Ethereum a introduit un standard de code permettant de créer de nouvelles cryptomonnaies facilement : c'est ce qu'on appelle le standard ERC20. 2017 marque également l'apparition des premiers NFT grâce au standard ERC721.

Ces standards permettent aux développeurs de créer de nouvelles cryptomonnaies de manière simple et en quelques lignes de code seulement. Démocratisant ainsi leur usage.

Exemple d'un code permettant de créer une nouvelle cryptomonnaie ERC20

2017-2018 : le boom des ICO


Cette simplicité de création de nouvelles cryptomonnaies a permis le succès des Initial Coin Offering (ICO).

Une ICO est une opération de levée de fonds par laquelle une société ayant un besoin de financement émet des jetons (cryptomonnaies). Les investisseurs achètent ces jetons avec des crypto-monnaies. En échange, ils pourront, dans le futur, accéder à des produits ou services de cette société.

Le record de montants levés en ICO est détenu par le projet Tezos, qui a levé en juillet 2017 l'équivalent de 232 millions de dollars. L'un de ces deux fondateurs, Arthur Breitman, est Français.

Blockchain Tezos

En 2018, 13 milliards de dollars ont été levés via des ICO dans le monde, contre 4 milliards de dollars en 2017.

Beaucoup de start-ups ont profité de cette nouvelle méthode de financement en monnaie digitale pour lever des sommes astronomiques, simplement et bien plus rapidement.

Et surtout sans régulation.

2019, première loi en France sur les ICO

15 ICO terminées ont été recensées en France fin 2018 pour un montant levé de 89 millions d’euros.

Face au développement de ces levées de fonds en dehors de toute règle spécifique, le législateur français a fixé un premier cadre juridique le 11 avril 2019 au travers de la loi n°2019-486 dite « Loi Pacte.

Désormais, toute société française désirant effectuer une ICO doit, si elle entend proposer à un public de plus de 150 personnes d’acquérir ses jetons, s’enregistrer auprès de l’AMF qui vérifiera principalement la compétence des dirigeants et actionnaires et l’existence de procédures de lutte contre le blanchiment d'argent.

Aux États-Unis, une approche différente

Le risque pour l'acquéreur lors d'une ICO naît de la conjonction entre le caractère futur du produit et sa nature technologique potentiellement complexe : un émetteur peu scrupuleux (et bon communicant) pourrait ainsi proposer un service « révolutionnaire » qu'il serait « sur le point de créer » via une technologie que personne n'est en mesure de vérifier. Obtenant ainsi beaucoup d'argent.

Aux États-Unis, cette inquiétude s'est rapidement matérialisée : une étude du groupe américain Statis rapportait que pas moins de 80% des ICO étasuniennes de 2017 étaient des « arnaques » et que nombre de projets « révolutionnaires » de cryptomonnaie s'étaient terminés avec de grosses pertes, notamment dans le cadre de l'affaire Bitconnect qui a enregistré plus de 2 milliards de dollars de pertes.

Le gendarme financier américain a ainsi requalifié à plusieurs reprises les jetons émis au cours de différentes ICO de « securities », (de titres financiers), en condamnant les émetteurs à des amandes et en annulant des ICO, au motif que l'émission de ces titres n'avaient pas fait l'objet de la procédure appropriée.

Pour ce faire, la SEC (le gendarme financier américain) utilise le test dit de Howey.

Howey test

L'exemple du test de Howey

Le test de Howey a été créé aux États-Unis en 1946. Il est utilisé pour déterminer si un actif financier est considéré comme un titre, et donc soumis à la réglementation de la Securities and Exchange Commission (SEC) aux États-Unis. Les critères du test de Howey sont les suivants :

  1. Il doit y avoir un investissement d'argent ;
  2. L'investissement doit être dans une entreprise commune ;
  3. L'investisseur doit s'attendre à réaliser des profits ;
  4. Les profits doivent être dérivés des efforts d'autrui, en l'occurrence des managers ou des promoteurs de l'entreprise.

Si ces critères sont remplis, l'actif est considéré comme un titre et doit être enregistré auprès de la SEC. Si un actif financier n'est pas considéré comme un titre, il peut être soumis à d'autres réglementations ou être exempté de réglementation.

Ce test permet théoriquement au gendarme américain de pouvoir poursuivre quasiment tous les projets cryptomonnaies.

La critique que reproche l'industrie des cryptomonnaies au régulateur américain est que ce test est vieux de 80 ans et n'est pas adapté aux évolutions portées par le secteur.

2020, début du procès de la SEC contre la société Ripple

La lutte entre l'industrie cryptomonnaie et le régulateur américain s'est matérialisé au travers de la société blockchain "Ripple". Lorsque le régulateur américain a décidé de poursuivre l'entreprise au sujet de son ICO.

Ripple est entreprise américaine fondée en 2012. Elle a créé un protocole de paiement baptisé Ripple, qui utilise le XRP comme cryptomonnaie du réseau.

Ripple vs SEC

Contrairement au Bitcoin ou à l'Ethereum, le XRP n'est pas miné. Les 100 milliards de jetons émis constituent la quantité totale et définitive des XRP.

La SEC reproche aux créateurs du XRP d'avoir organisé une ICO sans avoir été enregistrés au préalable. La SEC estime, en se basant sur le test de Howey, qu'il s'agit d'un produit financier tombant sous leur juridiction.

La question de la qualification des cryptomonnaies est le plus gros problème rencontré par les législateurs.

Ce procès, qui devrait se conclure cette année, est devenu le terrain de bataille de l'industrie.
D'un côté, le régulateur américain met sa crédibilité en jeu et cherche à étendre ses pouvoirs au secteur des cryptomonnaies et de l'autre, le secteur blockchain joue sa survie dans un bras de fer sans précédent avec le régulateur américain.

2023, la guerre est déclarée

La faillite du géant des cryptomonnaies "FTX" a donné le prétexte qu'attendait le régulateur américain pour réguler le secteur.

Celui-ci peut dès à présent s'attaquer à toutes les entreprises et étendre ses pouvoirs, au nom de la "protection des consommateurs". Les régulateurs ont décidé de frapper partout.

Securities and Exchange Commission (SEC)

Ce durcissent de leur position vis-à-vis des cryptomonnaies entraîne des conséquences importantes pour les plateformes et les utilisateurs.

Les décisions récentes du gendarme boursier américain (SEC) et du Département des Services Financiers de l'État de New York contre les entreprises Nexo, Paxos, Binance et Kraken ont des répercussions significatives sur l'écosystème des cryptomonnaies.

Les plateformes ont été forcées d'arrêter certaines activités et de payer des amendes importantes.

Par exemple, Nexo, une autre plateforme d'échange de cryptomonnaies, a récemment reçu une amende de 45 millions de dollars pour "manque de transparence" sur la manière dont sont générés les intérêts proposés par ses services.

La plateforme a annoncé la fin de son produit « Earn Interest » pour les utilisateurs américains à partir du 1er avril 2023. Cette décision entraînera de facto une baisse des investissements sur la plateforme.

D'autres sociétés blockchain, comme Gemini et Genesis seraient également dans le collimateur de la SEC.

Kraken arrête ses activités aux États-Unis

Le gendarme boursier américain a ordonné à la plateforme Kraken de cesser ses activités, jusqu'à ce que celle-ci ne respecte les lois sur les actifs financiers.

Kraken est la 3e plus grosse plateforme d'échange de cryptomonnaies, après Binance et Coinbase. La plateforme échange quotidiennement en moyenne plus de 700 millions de dollars de volumes.

Exchange Kraken


Kraken a reçu une amande de 30 millions de dollars d'amende. Le régulateur américain exige également l'accès complet aux données personnelles des utilisateurs de la plateforme.

Derrière l'attaque sur Kraken, le staking en ligne de mire

Le gendarme boursier américain attaque Kraken sur sa pratique du "staking".

Le staking est une méthode de consensus qui permet de sécuriser les blockchain "Proof-of-Stake", comme par exemple Ethereum ou Polygon.

Staking illustration

Pour valider et sécuriser les transactions du réseau, un validateur doit mettre ses tokens comme garantie. S'il ne triche pas, celui-ci touchera des intérêts pour sa participation au fonctionnement du réseau. S'il triche, il perdra ses tokens.

Afin de maximiser les profits, des sociétés proposent à leurs utilisateurs de prêter leurs tokens. Ceux-ci seront mis en "staking" et permettront de générer des intérêts en participant à la sécurisation du réseau. Et de les maximiser en regroupant le plus d'utilisateurs possibles.

L'utilisateur n'a pas à s'occuper de la partie technique. Pour lui, cela fonctionne exactement comme un service d'épargne classique.

Là où la SEC frappe fort, c'est qu'en s'attaquant au service de staking de Kraken, elle pourra également attaquer toute société proposant ce service à des Américains.

En classant le staking custodial (un client qui prête à une société) comme "Security", celui-ci serait donc in fine soumis à une licence.

Consciente du danger, la société Coinbase (plateforme d'échange numéro 2) a déclaré publiquement que ses services de staking ne sont pas des titres financiers et qu'elle était prête à se défendre devant les tribunaux. À l'image du géant Ripple, toujours en procès.

Les régulateurs décident de s'attaquer aux Stablecoins USD

J'ai décidé de garder ce point pour la fin. C'est celui que je juge le plus important et le plus représentatif de l'offensive des régulateurs américains.
Avec des conséquences qui s'étendent au monde entier.

Le régulateur américain a décidé de s'attaquer aux sociétés proposant des stablecoins, en commençant par la société Paxos.

Pour celles et ceux qui ne savent pas ce que c'est, un stablecoin est une cryptomonnaie conçue pour avoir une valeur stable en essayant de maintenir un prix fixe par rapport à une monnaie fiduciaire (comme le dollar américain). Cela permet de faciliter les échanges de crypto-monnaies tout en se protégeant de la volatilité des cours.

Les stablecoins représentent 80 milliards de dollars de volume journalier et leur capitalisation dépasse les 100 milliards de dollars.

BUSD, le stablecoin USD de Paxos et de Binance

Le Département des services financiers de New York (NYDFS) a sommé Paxos d'arrêter l'émission de BUSD de Binance, le troisième plus grand stablecoin avec une capitalisation de plus de 16 milliards de dollars.

Paxos continue cependant d'assurer le remboursement du BUSD en assurant les conversions en dollar.

La SEC, quand à elle, a informé Paxos de l'ouverture d'une procédure à son encontre, accusant la société d'avoir violé la législation protégeant les investisseurs. Elle considère que le stablecoin serait un titre non enregistré.

Cette attaque contre le stablecoin BUSD s'inscrit dans le cadre d'une action plus large. Le ministère de la Justice américain enquête sur Binance pour des soupçons de blanchiment d'argent et de violations de sanctions.


C'est ainsi que se termine cette newsletter. J'espère qu'elle vous aura plu.

La régulation du secteur cryptomonnaie est un sujet qui fait débat depuis leur invention. Faut-il l'interdire ? Faut-il laisser faire ? Faut-il fortement le réguler ? Faut-il trouver un juste-milieu ?

Chacun se fera librement son propre avis.

Cette newsletter a pour vocation de prendre de la hauteur sur ces sujets et de vous donner tous les outils nécessaires à leur compréhension.

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